Yardam est le nom de la ville où se situe l'histoire. Elle est en proie à une épidémie dont l'origine est mystérieuse pour les habitants, mais bien connue du lecteur. Pour faire face au flot de "coquilles", des personnes dont l'âme a été aspirée et qui sont devenue des corps asexués, diaphanes, chauves, à l'image des mannequins, vidés de leur substance, l'empereur décréta une quarantaine, espérant que cela endiguera la propagation du virus. Kazan, qui estime ne plus en avoir pour longtemps, décide de quitter Yardam mais, au moment de partir, croise un couple de médecins venus dans l'espoir de trouver un remède : Féliks et Nadja. Alors que Kazan s'imaginait vivre de liberté et d'eau fraîche au-delà des murs de Yardam, sans s'aveugler de sa mort imminente, avec Féliks et Nadja, il entrevoit la guérison et la vie. Il décide de rester et d'aider les médecins.
Si l'histoire s'arrêtait là, ce serait d'un ennui mortel, non ? Quelle est donc cette ligne que franchie Kazan ? Son ultime victime : Nadja. Saisit d'un mal signalant sa fin imminente, pour se libérer de la souffrance, il s'en prend à Nadja et l'aspire. Elle devient lui ; il devient elle. Ce lien, tissé entre eux via les souvenirs de la jeune femme, provoquent un changement en Kazan qu'il n'avait jamais ressenti avec ses âmes précédentes, en raison de l'amour que la médecin voue à Féliks. Ce léger détail rend le récit plus intéressant ; il fallait un rebondissement, il n'était pas possible que Kazan aide les deux médecins à trouver un remède en malmenant les coquilles. Il fallait "aller plus loin", briser l'image que nous avions d'un Kazan victime d'une terrible maladie. Or, cette maladie, il a choisi d'en être porteur. Ceci a pour conséquence d'altérer l'image que nous avions de lui. Déjà considéré comme un monstre sans que, pourtant, nous en prenions la pleine mesure, par son geste, certes désespéré mais foncièrement mauvais, égoïste et sans autre but que de se soulager quelques instants comme en prenant de la sirène, Kazan devient ce monstre qu'il dépeint depuis le début. Et là, tout change : notre perception de l'histoire, de l'action, du sort des personnages.
Kazan est mauvais, il est un monstre. Nous ne sommes pas en présence d'un héros mais du mal qui cause tant de souffrance, aux habitants, à Féliks et à Nadja que nous suivons dans l'inconscient du malade.
Au stade où j'écris ces lignes, je n'ai pas achevé la lecture. J'en suis au chapitre 28, pratiquement à la moitié de l'ouvrage, ce qui signifie que je ne peux pas spoiler davantage, dévoiler la fin des personnages ou même de Yardam. Ce qui est une bonne chose, car je peux me focaliser et partager les impressions que j'eus en commençant l'histoire : une réunion des thèmes déjà abordés dans les ouvrages précédemment lus, de l'autrice. Il est toujours question de la perdition du personnage principal qui n'est le héros que si nous voulons qu'il le soit. La folie, les voix, la mort, sont des thèmes récurrents, comme auparavant dans Le Dieu oiseau et dans Le roi des fauves, mais portés par un nouveau scénario, une nouvelle vision.