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Yardam

Yardam - Aurélie Wellenstein

<< Encore Aurélie Wellenstein ! >> me direz-vous ? OUI ! Merci à ma collègue pour la découverte de cette autrice qui manipule si bien la description de la violence -hum.

Yardam est le dixième roman d'Aurélie Wellenstein. Paru en mars 2020 aux éditions Scrinéo, c'est une belle bête de 478 pages. Ne parlons pas de la couverture qui contextualise la thématique du livre : les voix. Gardez bien à l'esprit que cet ouvrage a été publié bien avant la crise sanitaire de 2020. Merci. Car quand des clients refusent de le lire en raison de la quarantaine que subissent les personnages, qui pour eux, fait écho à ce que nous avons nous-mêmes traversé en 2020/2021, et n'est qu'un énième roman sur le Covid. À ce moment, mes yeux s'écarquillent et en dépit du torrent d'irritation qui m'assaille, je reste calme, grince des dents et précise avec un sourire forcé que la publication se fit en mars 2020. Alors, à moins qu'Aurélie Wellenstein n'ait pondu Yardam en un mois, voire deux, que le service éditorial de Scrinéo n'ait eu que son projet à traiter, que l'imprimeur ait été dévoué à Yardam alors que le confinement empêchait tout le monde de travailler... Je n'ai pas la suite. Car il n'y a pas de suite. Car c'est impossible. J'ai bossé dans une maison d'édition. Un livre de cette envergure ne se fait pas en un mois. Le BAT, le traitement de la couverture, son élaboration, la relecture, la MEP, la validation, la correction. Un livre se fait en plusieurs mois, voire une année. Ce livre n'est donc pas un énième livre sur le Covid, c'est une pure coïncidence. Une belle, car ce livre mérite qu'on le libère de l'image du Covid.

Pour en venir au vif du sujet, Yardam traite d'une maladie sexuellement transmissible. Chaque porteur est maudit, voit ses forces décupler mais doit vivre avec les voix, les âmes, des personnes qu'il a absorbé. Jusqu'à ce qu'un trop plein le fasse exploser.
Kazan est un voleur qui vit avec sept voix. Cela fait dix ans qu'il est infecté. Il n'a plus de famille, est accro à la sirène (la drogue) car il s'agit du seul "remède" pour faire taire ses voix, même s'il ne s'agit, au final, que d'une solution à court termes. Tôt ou tard, Kazan finira comme les autres voleurs d'esprits : il deviendra fou, dévoré par ses âmes, son cerveau ne supportera plus leur présence, il implosera et, pour mettre fin à la douleur, il se fera exploser la cervelle -probablement après un massacre. La question que l'on se pose d'emblée est la nature du personnage : mauvais ? bon ? À force de suivre Kazan, de découvrir son passé, il devient attachant. Nous éprouvons de la compassion. Jusqu'à ce qu'il aille trop loin.

Yardam - Livre de Aurélie Wellenstein

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Yardam est le nom de la ville où se situe l'histoire. Elle est en proie à une épidémie dont l'origine est mystérieuse pour les habitants, mais bien connue du lecteur. Pour faire face au flot de "coquilles", des personnes dont l'âme a été aspirée et qui sont devenue des corps asexués, diaphanes, chauves, à l'image des mannequins, vidés de leur substance, l'empereur décréta une quarantaine, espérant que cela endiguera la propagation du virus. Kazan, qui estime ne plus en avoir pour longtemps, décide de quitter Yardam mais, au moment de partir, croise un couple de médecins venus dans l'espoir de trouver un remède : Féliks et Nadja. Alors que Kazan s'imaginait vivre de liberté et d'eau fraîche au-delà des murs de Yardam, sans s'aveugler de sa mort imminente, avec Féliks et Nadja, il entrevoit la guérison et la vie. Il décide de rester et d'aider les médecins.

Si l'histoire s'arrêtait là, ce serait d'un ennui mortel, non ? Quelle est donc cette ligne que franchie Kazan ? Son ultime victime : Nadja. Saisit d'un mal signalant sa fin imminente, pour se libérer de la souffrance, il s'en prend à Nadja et l'aspire. Elle devient lui ; il devient elle. Ce lien, tissé entre eux via les souvenirs de la jeune femme, provoquent un changement en Kazan qu'il n'avait jamais ressenti avec ses âmes précédentes, en raison de l'amour que la médecin voue à Féliks. Ce léger détail rend le récit plus intéressant ; il fallait un rebondissement, il n'était pas possible que Kazan aide les deux médecins à trouver un remède en malmenant les coquilles. Il fallait "aller plus loin", briser l'image que nous avions d'un Kazan victime d'une terrible maladie. Or, cette maladie, il a choisi d'en être porteur. Ceci a pour conséquence d'altérer l'image que nous avions de lui. Déjà considéré comme un monstre sans que, pourtant, nous en prenions la pleine mesure, par son geste, certes désespéré mais foncièrement mauvais, égoïste et sans autre but que de se soulager quelques instants comme en prenant de la sirène, Kazan devient ce monstre qu'il dépeint depuis le début. Et là, tout change : notre perception de l'histoire, de l'action, du sort des personnages.

Kazan est mauvais, il est un monstre. Nous ne sommes pas en présence d'un héros mais du mal qui cause tant de souffrance, aux habitants, à Féliks et à Nadja que nous suivons dans l'inconscient du malade.

Au stade où j'écris ces lignes, je n'ai pas achevé la lecture. J'en suis au chapitre 28, pratiquement à la moitié de l'ouvrage, ce qui signifie que je ne peux pas spoiler davantage, dévoiler la fin des personnages ou même de Yardam. Ce qui est une bonne chose, car je peux me focaliser et partager les impressions que j'eus en commençant l'histoire : une réunion des thèmes déjà abordés dans les ouvrages précédemment lus, de l'autrice. Il est toujours question de la perdition du personnage principal qui n'est le héros que si nous voulons qu'il le soit. La folie, les voix, la mort, sont des thèmes récurrents, comme auparavant dans Le Dieu oiseau et dans Le roi des fauves, mais portés par un nouveau scénario, une nouvelle vision. 

Un petit mot sur la fin

Et voilà, j'ai achevé hier la lecture de Yardam. Une fin douce amère, vieille amie que l'on retrouve. Sans en dire davantage, lorsque vous entrer dans l'univers d'Aurélie Wellenstein, il faut garder à l'esprit que les fins seront inexorablement d'une tristesse mêlée de soulagement. À mon goût, il n'y a pas de joie, il n'y a pas de "fin heureuse", il n'y a que du soulagement : le calvaire est derrière mais à quel prix ? Et c'est cela qui, aussi, fait que les romans d'Aurélie Wellenstein sont aussi attractifs ; ils ne sont pas le reflet des contes de fée mais sont à l'image de la vie : des instants de traversée coupable, de faiblesse, de reconstruction. La conclusion n'est pas finie, elle reste ouverte, nous permettant de nous imaginer la "fin" d'un des personnage. Systématiquement, nous savons, en débutant la lecture, que nous devrons dire adieu à beaucoup de choses au courant de la lecture.

Attention : je déconseille Yardam à un lectorat inférieur à seize ans. Sachez que les personnages se torturent psychologiquement et physiquement, que le texte est scandée de sexe. La torture est un élément récurrent chez Aurélie Wellenstein, à chaque fois utilisée différemment, mais dans Yardam, le sexe est beaucoup plus présent. Vous êtes prévenu(e) :)

Date de dernière mise à jour : 17/05/2022

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