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Actualité du livre : revues de presse

Revues de presse

La rentrée littéraire 2016 : état des lieux

septembre 2016

En-dehors de l’engouement des fans pour le nouveau Harry Potter (Harry Potter and the Cursed Child) paru en anglais chez Little Brown and Company et commercialisé en France dès sa sortie[1], l’été 2016 a été marqué, comme d’accoutumée, par la rentrée littéraire et les prix rattachés. Cette année, la production en littérature révèle une légère baisse : 560 contre 589 en 2015, dont 66 premiers romans et 197 romans étrangers[2]. Ce constat peut être expliqué par un retour aux valeurs sûres, soit des auteurs déjà primés ou connus du grand public : Amélie Nothomb, Laurent Gaudé, Yasmina Khadra ou encore Joann Sfar[3]. Des auteurs qui reviennent années après années, restent des figures emblématiques de la rentrée littéraire, ou certains qui, comme Joann Sfar, reviennent pour présenter cette fois-ci une œuvre adulte.

En amont, parlons de ce qu’est la rentrée littéraire. Quels sont ces enjeux ? Que représente-t-elle ? Qu'est-elle, finalement ? La rentrée littéraire d'autome, c'est un phénomène. Il se nourrit de l'attente des lecteurs et de l'énergie des acteurs du maillon de la chaîne du livre. Tous travaillent d'arrache-pied pour présenter des dizaines de titres, parfois un pour les plus petites structure. C'est le moment d'annoncer des nouveaux auteurs. On le sait, l'édition est au XXIè siècle une question d'économie (pas besoin de se le cacher), l'édition est portée par les best-seller, la qualité n'est plus au rendez-vous en comparaison aux siècles passés, tout n'est qu'une question d'immédiateté ; la pérennité n'a plus sa place, pourtant les Editions de Minuit ont prouvé le contraire. Les origines de la rentrée littéraire restent imprécises, serait-ce lié à la rentrée scolaire ? à celles culturelles ?, mais tous les professionnels s'accordent à dire que c'est un événement, un phénomène qui s'est ancré dans la production annuelle et qui représente un chiffre d'affaire non négligeable pour tous les maillons de la chaîne du livre. Les enjeux économiques sont de l'ordre de 5% du CA total et pour augmenter la visibilité des titres, les éditeurs n'hésitent pas à lancer des campagnes de promotions à travers les journaux, magazines etc (il y a de quoi faire déjà entre Dassault et Lagardère), la com', c'est ce qui fonctionne le mieux pour parler des objets/produits en question, ce n'est un secret pour personne. Eh oui, à l'évidence, la rentrée littéraire est économique avant tout. Mais c'est un moment riche de découvertes qui n'est pas à laisser passer, les professionnels sont chaque année surpris par des nouveaux auteurs, et satisfait d'en retrouver d'autres qui méritent d'être mis en avant grâce à un moment comme celui-ci.

 

Le programme éclectique en littérature française et étrangère : une histoire de goûts

Certains éditeurs, tels que Zulma ou La Table Ronde, ont pris le parti de ne publier qu’un roman de littérature française (Livres Hebdo, 01/07) : Michel Bernard (La Table Ronde) et Marcus Malte (Zulma). D’autres maisons sont restées fidèles à leurs écrivains de l’an passé, présentant leur second roman : Le Cherche Midi avec Emmanuelle Pirotte, Les Équateurs avec Pierre Adrian ou encore Le Nouvel Attila avec Gouz. Pour autant, cette rentrée est encore une fois marquée par le genre de l’exofiction, présent depuis trois ans. L’exofiction consiste à « [élaborer] à partir de la vie de personnes réelles, un récit des émotions et des scènes oubliées » (Le Magazine Littéraire n° 751, 09/16), raison pour laquelle nous retrouvons des titres tels que : À tombeau ouvert de Bernard Chambaz (Stock), La valse des arbres et du ciel de Jean-Michel Guenassia (Albin Michel) ou Les pêcheurs d’étoiles de Jean-Paul Delfino (Le Passage)[4]. Le roman post-apocalyptique trouve aussi sa place : Vincent Borel avec Fraternels (Sabine Wespieser) et De profundis d’Emmanuelle Pirotte (Le Cherche Midi). Par ailleurs, les débats d'idées sont très présents, avec des essais comme Comprendre l’islam politique de François Burgat (La Découverte), La vie intellectuelle en France par un collectif (Seuil), La Violence de Marc Crépon (Odile Jacob) et Où mène le souvenir de Saul Friedländer, tout comme les essais politiques (Le Monde des Livres, 08/16) : Un quinquennat pour rien d’Eric Zemmour, Relire la Révolution de Jean-Claude Milner (Éditions Verdier), Aux quatre vents du monde de Mireille Delmas-Marty (Seuil) ou encore Tout pour la France de Nicolas Sarkozi. Des biographies viennent enrichir les sorties, notamment avec La grande guerre oubliée, sur la figure de Raspoutine, par Alexandre Sumpf (Perrin), Charles Quint de Denis Crouzet et Germanicus de Yann Rivière (Perrin).

 

Des phylactères et des séries

De même, l’été a aussi été long pour les lecteurs du neuvième art et pour la jeunesse. En bande dessinée (Livres Hebdo, 26/08), Catherine Meurisse s’est remise à l’humour dans Scènes de la vie hormonale (Dargaud), et les titres les plus attendus, en-dehors des séries telles que Thorgal (Le Lombard) ou Lanfeust (Soleil), sont éclectiques : Joséphine Baker par Catel et Bocquet (Casterman), L’Arabe du Futur 3 de Riad Sattouf (Allary éditions), La déconfiture par Michel Rabaté (Futuropolis) ou encore Guy Delisle avec S’enfuir (Dargaud). Fabcaro, grand prix des libraires Canal BD avec l’époustouflant Zaï, Zaï, Zaï, Zaï (Six pieds sous terre), revient avec Pixel Vengeur dans un Gai Luron de Gotlib. Emmanuel Guibert a publié la belle histoire de Martha & Alan (L’Association), et Christophe Blain chez Dargaud, après huit ans d’absence, présente enfin la suite de Gus. Pour la rentrée jeunesse (Livres Hebdo, 09/09), les séries (phénomène né avec notre célèbre sorcier qui faisait l'introduction de cette revue de presse) restent une valeur sûre, de même, le thème récurrent, depuis Hunger Games (Pocket Jeunesse), est celui de la dystopie : un univers où les personnages, vaincus par le système dans lequel ils se déploient, ne peuvent parvenir au bonheur. Les titres les plus attendus sont U4 chez Nathan, série écrite à huit mains, L’éveil de Jean-Baptiste de Panafieu (Gulf Stream éditeur), ou encore Cell 7 par Kerry Drewery (Hachette). Les sujets en rapport avec l’adolescence[5] soulignent les dangers des réseaux sociaux dans Need de Joëlle Charbonneau (Milan) ou l’anorexie avec Sweet d’Emmy Laybourne (Hachette). Les séries en science-fiction et en fantastique ne sont pas délaissées, comme en témoignent Génération K de Marine Carteron (Rouergue) et Illuminae d’Amie Kaufman (Casterman). L’écologie fait son entrée aux éditions Le Ricochet, avec la création d’une collection « À l’abri », et des albums remarquables se distinguent d’une production axée sur la nécessité de rendre le terrorisme compréhensible à l’enfant : Un trou, c’est pour creuser, de Kruth Krauss, illustré par Maurice Sendak (MeMo) et Le bois dormait, par Rebecca Dautremer (Sarbacane).

 

Le retour des prix d’automne

La rentrée littéraire est également le rendez-vous incontournable des prix[6]. Les plus marquants sont bien évidemment le Goncourt, le Renaudot, le Médicis, celui de l’Académie française ou encore le récent Prix Patrimoines. S’ajoutent le Décembre, le Fémina, le Prix littéraire du Monde ou encore toute une série produite par des commerces non spécialistes du livre : le prix Landerneau du lecteur, récompensé par l’Espace Culturel E.Leclerc[7], les 6 « Talents à découvrir » par Cultura, présidé par Gilles Legardinier[8], ou encore le prix du roman Fnac qui a été décerné à Gaël Faye[9] lors du premier salon Forum Fnac Livres. Acte promotionnel désintéressé ou véritable distinction, le prix littéraire a aujourd’hui vocation à faire parler des livres sur un temps donné, récompensant par consensus une œuvre aimée du grand public qui se reconnaît dans les jurés.

Finalement, la rentrée littéraire est un phénomène apprécié des professionnels du livre qui permet de découvrir de nouveaux auteurs, d'en retrouver d'autres, et également un instant d'échanges entre professionnels et amateurs. Quoiqu'ayant des enjeux forts, la rentrée littéraire permet de mettre en avant le livre, produit qui, force est de constater, ne semble pas perdre ses lettres de noblesse, et de faire fonctionner son économie. Les meilleures ventes littéraires entre le 12[10] et le 25 septembre 2016[11] réunissent des titres de la rentrée : L’homme qui voyait à travers les visages par Éric-Emmanuel Schmitt (Albin Michel), Riquet à la houppe d’Amélie Nothomb (Albin Michel), ou encore Écoutez nos défaites de Laurent Gaudé (Actes Sud). En bande dessinée, Guy Delisle occupe la troisième place du palmarès et entame sa troisième semaine, derrière Les mondes de Thorgal : Louve, volume 6 et Elfes tome 15. Pourtant, comme chaque année, il faut noter l’absence de dossiers traitant des nouveautés jeunesses et en bande dessinée dans la grande majorité des revues littéraires grand public, qui préfèrent mettre l’accent sur la littérature française et étrangère pour toucher un maximum de lecteurs.


La bande dessinée fait parler d’elle

L'exposition consacrée à Hergé au Grand Palais de Paris[1] est-elle l’opportunité de mettre en avant la bande dessinée ? La question est posée car le constat est général : les articles ne cessent de jaillir et soulèvent plusieurs questions : comment a évolué la bande dessinée ? Que nous dit-elle aujourd’hui ? Comment s’est-elle adaptée au xxiè siècle ? Dans le hors-série d’octobre, Ouest France revient sur les aventures du célèbre reporter belge à travers deux articles qui dévoilent le travail mené par Hergé[2]. Arte, pour sa part, a consacré une émission Hergé, dans l’ombre de Tintin[3], expliquant comment le dessinateur a pu se substituer à un personnage, comment ce dernier est devenu plus célèbre que son créateur. Enfin, France Culture a consacré sa semaine du 24 octobre à l’histoire de la bande dessinée dans « La Fabrique de l’Histoire[4] », revenant notamment sur les notions et enjeux de base pour expliquer comment la bande dessinée est née ou encore comment le sous-genre « historique » s’est développé.

Mal aimée, la bande dessinée a mis du temps à trouver son lectorat : souvent associée à la jeunesse par les images, elle a dû se battre pour légitimer sa créativité et son appartenance à un art. Les « comics » américains ont bouleversé le paysage français en imposant leur violence, leur mœurs, une des raisons qui explique l’existence de la loi de 1949 relative aux publications à destination de la jeunesse. Depuis les années 1990, la bande dessinée a continué d’évoluer en développant de nouvelles formes, comme le roman graphique, un genre qui reste apprécié du lectorat de « bd » et de « comics ». Dans une interview, Benoît Peeters, spécialiste de Tintin, explique l’évolution de la bande dessinée dans les habitus de la jeunesse : « Désormais, le personnage de bande dessinée est pris dans une temporalité qui l’affecte et le transforme, comme chacun de nous[5] », confie-t-il, ce qui souligne les changements initiés par les auteurs et éditeurs pour ne plus faire du héros, de cette figure emblématique, un simple personnage de bande dessinée mais un être humain, vivant dans une société en expansion, un humain capable d’émotions, et de l’établir dans un monde où des sociétés, des pays, sont entrés en guerre[6]. Un détail à ne pas négliger et qui implique une intervention des éditeurs pour décrypter ce phénomène et de le vulgariser pour la jeunesse, grand lecteur de bande dessinée et de « comics », adepte des adaptations cinématographiques avant d’être amateur de l’œuvre originale, mais également un travail des illustrateurs et auteurs qui veulent parler et informer les lecteurs : ce mois-ci, Fred Dewide, graphiste survivant du Bataclan, témoigne dans sa bande dessinée[7] ; Catherine Meurisse est revenue en avril 2016 sur la tragédie de Charlie Hebdo dans La légèreté (Dargaud)[8] ; de même, Guy Delisle a présenté pour la rentrée littéraire S’enfuir¸ le récit de Christophe André, otage dans le Caucase[9]. Par ces pratiques, les auteurs, éditeurs et illustrateurs de bande dessinée veulent inscrire les événements auxquels ils assistent, et cette volonté se retrouve depuis Töpffer, depuis Maus, depuis les prémices d’un genre qui ne cesse de s’enrichir. Comme la littérature, la bande dessinée ne se veut pas exclusivement distrayante mais informative. Le magazine pour enfants Okapi, pour son numéro de novembre 2016, a d’ailleurs dévoilé qu’il sera question d’aborder les événements qui ont fait date aux États-Unis par le biais de la bande dessinée, faisant apparaître que les strips peuvent être un bon moyen de communiquer l’Histoire, conjuguant l’instruction à la distraction[10].

Dans une autre mesure, la bande dessinée et les comics évoluent grâce à leur lectorat : la librairie de l’Antre du Snorgleux de Marseille s’est lancée dans l’aventure éditoriale, jonglant dorénavant entre le travail de libraire et celui d’éditeur, dans une optique non pas nécessairement de rentabilité mais de satisfaction du lectorat de comics, proposant des titres inachevés, uniques en France, ciblant un lectorat bien plus particulier que les géants Panini ou Urban Comics[11]. Autre exemple qui lui, concerne tous les genres : le crowfounding ; le financement participatif est une alternative souvent utilisée par les éditeurs et par les auteurs/illustrateurs : Maliki fait usage de cette pratique depuis mai 2016 pour publier ses productions et a récemment ouvert une page sur Ulule, célèbre site de crowfounding[12]. C’est également le moyen de financer des projets qui joignent numérique et livresque, une alliance qui n’est pas encore de mise chez les éditeurs de bande dessinée, tel que l’expérimente Eden, la seconde aube[13]. Ces financements et projets prouvent que les éditeurs ne sont pas encore prêts à se lancer dans des expériences en bande dessinée où le livre et le numérique parviennent à devenir complémentaires, où la quête de la rentabilité n’est pas assurée, où il s’agit de répondre à une demande d’un lectorat ciblé, minime ; ces projets sont aussi le moyen de savoir jusqu’où la bande dessinée peut aller, quelles en sont ses limites numériques, livresques, et que le lectorat est de plus en plus ouvert à des changements, des alliances de supports, pour donner naissance à des ovni qui n’ont pas leurs précédents. Par ailleurs, c’est dans cette optique de tenir informer les lecteurs de l’actualité que s’est développée La Revue Dessinée, une publication trimestrielle qui accueille des reportages, des enquêtes et des documentaires en strips depuis 2013, et qui a démarré grâce au crowfouning[14].

La bande dessinée a su trouver son lectorat et déployer son économie, en dépit des difficultés passées à s’affirmer en tant que genre capable de s’accroître, de satisfaire un nouveau lectorat, d’innover et de surprendre[15], ce que témoigne le lancement du Prix ABCD de la bande dessinée qui vient se ranger aux côtés de ses prédécesseurs : le Grand Prix de la Critique, le Prix Asie de la Critique ABCD et le Prix ABCD de la bande dessinée québécoise[16]. Les Prix sont des instances de récompenses, de valorisation d’un travail, utilisés dans un souci économique et désintéressé, et la bande dessinée n’y échappe pas. La pluralité de prix en « bd », que ce soit pour les collégiens, pour la jeunesse ou pour les caricaturistes, parvient à communiquer autour de ce genre, de le promouvoir et de l’ériger au même niveau que la littérature, faisant ainsi fonctionner son marché. Dans un même temps, la bande dessinée est devenue une source d’inspiration, par la richesse de ses titres, et sollicitée par les arts, notamment celui cinématographique[17] : tout d’abord Lucky Luke en 1991 par Terence Hill et 2009 par Jean Dujardin, Boule et Bill en 2013 avec une suite de prévue en 2016, puis le « comic » des années 1980, Le Transperceneige de Jean-Marc Rochette et Jacques Lob, adapté en 2013 en film et en 2015 en série ; récemment, la série Valerian et Laureline a été adaptée à l’écran par Luc Besson[18] et enfin, la nouvelle de l’adaptation de la série Thorgal[19] déterre les éternelles questions des adaptations au cinéma d’œuvres livresques : jusqu’à quel point le film va-t-il être fidèle ? Quelles seront ses erreurs ? Jusqu’où sera-t-il décevant ? et enfin la question la plus cruciale : jusqu’où le cinéma s’emparera-t-il de l’œuvre[20] ?

Ainsi, les articles révèlent que la bande dessinée est un genre qui a su conquérir un public amateur de livre ou friand du nouveau médiateur qu’est le septième art, tout comme les jeux vidéo ont su le faire. Le secteur de la « bd » est marqué par une croissance constante depuis les années 2000[21], due à une démocratisation de l’édition, portée par les petits éditeurs d’avantage créatifs, qui veulent éditer mieux et non pas plus, voulant fidéliser un lectorat devenu exigeant, qui apporte de plus en plus d’importance aux éditions limitées, de luxe, devenant des collectionneurs, ce que témoignent les dernières ventes aux enchères d’un Tintin au Congo à 300.000 euros (estimé à 50.000)[22] et celle d’une double-planche de Hergé partie à 1.6 millions d’euros[23]. Ainsi, la bande dessinée s’est affirmée dans bien des domaines : l’édition traditionnelle, la recherche et la fidélité d’un lectorat, le financement participatif, l’autoédition et enfin le marché des enchères, attestant que le neuvième art n’a pas perdu ses lettres de noblesse. Pourtant, force est de constater qu’elle a encore beaucoup à prouver.

 

L'auto-édition

Les usages de l’ebook en 2016 : quelles (r)évolutions ?

Depuis sa création, l’ebook est parvenu à s’implanter dans le marché du livre à échelle mondiale en très peu de temps, du fait de sa grande utilité et de sa rapidité éditoriale : plus besoin de passer par un imprimeur, sauf s’il est question d’impression à la demande, auquel cas la qualité du livre et sa matérialité diffèrent dans bien des aspects du livre papier traditionnellement imprimé. Le rapport de la revue Enssib à ce propos est clair : « Le numérique, par sa nature même, […] impose aux organisations qui s’en saisissent de travailler différemment, de réinterroger leur pratique et leur identité professionnelle, d’appréhender autrement leur rapport au temps. » Quels sont donc aujourd’hui ses modes d’utilisations ? Comment les maisons d’éditions – qu’elles soient traditionnelles ou en faveur de l’autoédition – sont-elles parvenues, en 2016, à s’en accommoder ? Quels sont les enjeux ?

En 2014 au Royaume-Uni, le marché de l’ebook a augmenté de 35%, contre 2% pour le livre papier, ce qui représente 24% des ventes totales. Cette nette augmentation est due aux pratiques des anglais face aux écrans : 71% des foyers détiennent une tablette[1]. En 2015 toutefois, le marché a reculé de 21%, ce qui représente 16% du chiffre d’affaire des éditeurs HarperCollins contre 10% pour Hachette[2]. Cette baisse du chiffre d’affaire du livre numérique est indéniablement liée à l’augmentation en parallèle du livre imprimé. Un autre facteur entre en jeu : la hausse du prix du livre numérique, qui peut désormais aller jusqu’à 16,99$, quasiment le prix d’un livre papier. Aux États-Unis pourtant, la situation de l’ebook est bien connue des professionnels du livre, qu’ils soient français ou étrangers : les américains ont changé leurs habitus pour lire quasi-systématiquement sur des écrans[3], cependant, il est intéressant de voir qu’au premier semestre de 2016, le marché du livre numérique a baissé de 18,1%, chute dans laquelle s’inscrit 34,9% du marché ebook pour la jeunesse[4]. Une situation qui laisse à penser que les américains renouent, très probablement et à un faible degré, avec le livre papier qui parvient à se redresser : +7,4% pour le livre de proche et +10,4% pour les livres religieux, des augmentations qui peuvent être liées au l’usage pratique qu’ont les américains avec le livre de poche, ainsi qu’avec leur situation vis-à-vis des religions[5]. Côté français, en 2015, l’ebook parvient à nouer des liens avec les lecteurs : +6,5% de hausse. Les chiffres de 2016 n’étant pas ensemble disponibles.

En France, comme à l’international, l’ebook est entré dans les pratiques de lecture. En bibliothèque, il a trouvé sa place : son prêt est autorité dans les mêmes conditions que le livre papier, une décision de la Cour de justice de l’Union Européenne qui n’a pas manqué de faire réagir les éditeurs : les droits d’auteurs ne sont versés qu’une seule fois à la Sofia tandis que le livre pourra être lu des milliers de fois, modalité inconcevable pour le livre papier. À cette décision, la Fédération européenne et internationale des libraires déclare : « L’assimilation du prêt numérique au prêt de livre physique est une décision très dangereuse, qui ne tient pas compte de la réalité économique de la chaîne du livre, et risque de provoquer de sérieuses perturbations sur le marché naissant du livre numérique[6] ». Cette assimilation du prêt du livre numérique au livre papier a soulevé une polémique qui est allée, au Royaume-Uni, jusqu’à la comparaison à la « concurrence sauvage d’Amazon », selon Tim Godfray, directeur de la Booksellers Association, syndicat de la librairie en Angleterre[7]. Par-là, Tim Godfray met en exergue les comportements des lecteurs qui peuvent, depuis chez eux, commander un livre papier depuis Amazon ; la même chose s’opère avec l’ebook, ce qui éloigne les usagers des bibliothèques. Cette étape, dorénavant franchie, fera inexorablement baisser le taux de fréquentation des bibliothèques.

Par ailleurs, Amazon vient d’acquérir une grande maison d’édition : Westland Ltd, située en Inde[8]. Cette stratégie doit lui permettre « d’innover pour le compte de clients » issus du pays, afin « d’augmenter la visibilité des livres physiques et numérique » de la maison d’édition pour gagner en lecteurs et donc, pour Amazon, d’accroître son économie livresque. Amazon est bien connu pour son Kindle et ses nombreux ebook qui ne cessent de prendre de l’ampleur dans son catalogue. En France, il y a TEA : The Ebook Alternative, un service de vente d’ebook offert aux libraires et aux distributeurs[9], une innovation qui semble séduire avec son argumentaire : « TEA est l’alternative en France aux systèmes propriétaires d’Amazon ou d’Apple qui enferment les lecteurs et excluent les professionnels ». En début d’année, Le Furet du Nord rejoignait l’entreprise « alternative » pour bénéficier de ses services, aux côtés de Cultura, Decitre, France Loisirs mais aussi des librairies Eyrolles et Bisey[10]. En novembre, TEA annonce un nouveau partenaire : HarperCollins France, qui admet avoir retenu TEA « après une étude poussée des différentes solutions existantes » sur l’utilité de ce partenariat, compte tenu de l’évolution de l’ebook et des nouveaux DRM affiliés pour protéger les contenus[11]. Il est intéressant, toutefois, de noter dans la liste des clients, que très peu de librairies et de maisons d’éditions sont partenaires, et que beaucoup de grandes surfaces culturelles et de grands groupes sont présents. L’innovation de TEA est-elle vraiment intéressante pour les professionnels du livre ?

D’autre part, numérique rime avec autoédition, une pratique de démocratisation de l’édition qui s’est largement répandue en France comme à l’internationale. Nombreuses sont les nouvelles maisons qui proposent des services adaptés, qu’ils soient de l’ordre de l’ebook ou de l’impression à la demande, voire même de contrats spécifiques : un lancement en ebook pour analyser le taux de rentabilité de l’ouvrage qui pourra ensuite, si les ventes sont concluantes, être imprimés ou présentés à des maisons d’édition traditionnelles[12]. D’autres entreprises vont jusqu’à mettre en relation les auteurs avec les services adaptés pour se rendre compte de l’industrie du livre, c’est le cas de Reedsy Learning[13] qui vient par ailleurs de sortir un premier MOOC ludique, avec 10 leçons dédiées à la compréhension de l’industrie livresque, à destination des auteurs[14]. De son côté, Adrénalivre, autre start-up française exploitant le livre numérique, consacre son activité à l’aspect interactif de l’ebook[15] : « Un livre : plusieurs histoires. Interagissez sur l’histoire pour en modifier le cours et l’épilogue de l’ebook » déclare leur site internet[16]. Une innovation qui exploite pleinement les avantages de l’ebook pour sortir les lecteurs de leur lecture parfois trop linéaire. La start-up propose des contrats aux éditeurs pour que ceux-ci puissent tenter l’expérience en co-édition ou en publiant des contenus inédits. La SCNF, quant à elle, enrichit son catalogue de e-livre adaptés aux voyages, en fonction du temps de trajet, notamment avec des livres audio pour les usagers déficient visuel[17]. Enfin, iDTGV s’allie avec Librinova, une maison d’autoédition, pour proposer une autre façon de voyager, en faisant du train « un endroit propice à la lecture, à l’écriture et à la réflexion[18] ». Une occasion pour la maison de faire connaître ses auteurs mais également son mode d’édition qui pourra intéresser plus d’un usager, et de lancer de nouveaux auteurs amateurs avec un concours de nouvelles.

Les articles soulignent qu’en 2016, l’ebook parvient à évoluer pour gagner le plus de lecteur possible en se diversifiant grâce à ses nombreuses opportunités d’exploitation, que ce soit par des grands groupes français ou des start-up. Le livre numérique se retrouve au même niveau que le livre papier en bibliothèque, il souligne malgré lui l’éternelle préoccupation de la fréquentation des bibliothèques. TEA propose des services supposés unir les professionnels du livre, or ceux-ci semblent réfractaires à rejoindre leur « alternative ». Pour conclure, l’Ina Global, site internet de l’INA, a consacré un article à la question de l’autoédition, à ses bienfaits, à ses contraintes, ses avantages et ses inconvénients. Un article qui met en avant les doutes, incertitudes, mais également de l’économie et de l’industrie du livre numérique[19]. Cela permet de faire le point sur toutes les utilisations et les (r)évolutions de l’ebook.

 

Date de dernière mise à jour : 06/12/2016