La rentrée littéraire 2016 : état des lieux
septembre 2016
En-dehors de l’engouement des fans pour le nouveau Harry Potter (Harry Potter and the Cursed Child) paru en anglais chez Little Brown and Company et commercialisé en France dès sa sortie[1], l’été 2016 a été marqué, comme d’accoutumée, par la rentrée littéraire et les prix rattachés. Cette année, la production en littérature révèle une légère baisse : 560 contre 589 en 2015, dont 66 premiers romans et 197 romans étrangers[2]. Ce constat peut être expliqué par un retour aux valeurs sûres, soit des auteurs déjà primés ou connus du grand public : Amélie Nothomb, Laurent Gaudé, Yasmina Khadra ou encore Joann Sfar[3]. Des auteurs qui reviennent années après années, restent des figures emblématiques de la rentrée littéraire, ou certains qui, comme Joann Sfar, reviennent pour présenter cette fois-ci une œuvre adulte.
En amont, parlons de ce qu’est la rentrée littéraire. Quels sont ces enjeux ? Que représente-t-elle ? Qu'est-elle, finalement ? La rentrée littéraire d'autome, c'est un phénomène. Il se nourrit de l'attente des lecteurs et de l'énergie des acteurs du maillon de la chaîne du livre. Tous travaillent d'arrache-pied pour présenter des dizaines de titres, parfois un pour les plus petites structure. C'est le moment d'annoncer des nouveaux auteurs. On le sait, l'édition est au XXIè siècle une question d'économie (pas besoin de se le cacher), l'édition est portée par les best-seller, la qualité n'est plus au rendez-vous en comparaison aux siècles passés, tout n'est qu'une question d'immédiateté ; la pérennité n'a plus sa place, pourtant les Editions de Minuit ont prouvé le contraire. Les origines de la rentrée littéraire restent imprécises, serait-ce lié à la rentrée scolaire ? à celles culturelles ?, mais tous les professionnels s'accordent à dire que c'est un événement, un phénomène qui s'est ancré dans la production annuelle et qui représente un chiffre d'affaire non négligeable pour tous les maillons de la chaîne du livre. Les enjeux économiques sont de l'ordre de 5% du CA total et pour augmenter la visibilité des titres, les éditeurs n'hésitent pas à lancer des campagnes de promotions à travers les journaux, magazines etc (il y a de quoi faire déjà entre Dassault et Lagardère), la com', c'est ce qui fonctionne le mieux pour parler des objets/produits en question, ce n'est un secret pour personne. Eh oui, à l'évidence, la rentrée littéraire est économique avant tout. Mais c'est un moment riche de découvertes qui n'est pas à laisser passer, les professionnels sont chaque année surpris par des nouveaux auteurs, et satisfait d'en retrouver d'autres qui méritent d'être mis en avant grâce à un moment comme celui-ci.
Le programme éclectique en littérature française et étrangère : une histoire de goûts
Certains éditeurs, tels que Zulma ou La Table Ronde, ont pris le parti de ne publier qu’un roman de littérature française (Livres Hebdo, 01/07) : Michel Bernard (La Table Ronde) et Marcus Malte (Zulma). D’autres maisons sont restées fidèles à leurs écrivains de l’an passé, présentant leur second roman : Le Cherche Midi avec Emmanuelle Pirotte, Les Équateurs avec Pierre Adrian ou encore Le Nouvel Attila avec Gouz. Pour autant, cette rentrée est encore une fois marquée par le genre de l’exofiction, présent depuis trois ans. L’exofiction consiste à « [élaborer] à partir de la vie de personnes réelles, un récit des émotions et des scènes oubliées » (Le Magazine Littéraire n° 751, 09/16), raison pour laquelle nous retrouvons des titres tels que : À tombeau ouvert de Bernard Chambaz (Stock), La valse des arbres et du ciel de Jean-Michel Guenassia (Albin Michel) ou Les pêcheurs d’étoiles de Jean-Paul Delfino (Le Passage)[4]. Le roman post-apocalyptique trouve aussi sa place : Vincent Borel avec Fraternels (Sabine Wespieser) et De profundis d’Emmanuelle Pirotte (Le Cherche Midi). Par ailleurs, les débats d'idées sont très présents, avec des essais comme Comprendre l’islam politique de François Burgat (La Découverte), La vie intellectuelle en France par un collectif (Seuil), La Violence de Marc Crépon (Odile Jacob) et Où mène le souvenir de Saul Friedländer, tout comme les essais politiques (Le Monde des Livres, 08/16) : Un quinquennat pour rien d’Eric Zemmour, Relire la Révolution de Jean-Claude Milner (Éditions Verdier), Aux quatre vents du monde de Mireille Delmas-Marty (Seuil) ou encore Tout pour la France de Nicolas Sarkozi. Des biographies viennent enrichir les sorties, notamment avec La grande guerre oubliée, sur la figure de Raspoutine, par Alexandre Sumpf (Perrin), Charles Quint de Denis Crouzet et Germanicus de Yann Rivière (Perrin).
Des phylactères et des séries
De même, l’été a aussi été long pour les lecteurs du neuvième art et pour la jeunesse. En bande dessinée (Livres Hebdo, 26/08), Catherine Meurisse s’est remise à l’humour dans Scènes de la vie hormonale (Dargaud), et les titres les plus attendus, en-dehors des séries telles que Thorgal (Le Lombard) ou Lanfeust (Soleil), sont éclectiques : Joséphine Baker par Catel et Bocquet (Casterman), L’Arabe du Futur 3 de Riad Sattouf (Allary éditions), La déconfiture par Michel Rabaté (Futuropolis) ou encore Guy Delisle avec S’enfuir (Dargaud). Fabcaro, grand prix des libraires Canal BD avec l’époustouflant Zaï, Zaï, Zaï, Zaï (Six pieds sous terre), revient avec Pixel Vengeur dans un Gai Luron de Gotlib. Emmanuel Guibert a publié la belle histoire de Martha & Alan (L’Association), et Christophe Blain chez Dargaud, après huit ans d’absence, présente enfin la suite de Gus. Pour la rentrée jeunesse (Livres Hebdo, 09/09), les séries (phénomène né avec notre célèbre sorcier qui faisait l'introduction de cette revue de presse) restent une valeur sûre, de même, le thème récurrent, depuis Hunger Games (Pocket Jeunesse), est celui de la dystopie : un univers où les personnages, vaincus par le système dans lequel ils se déploient, ne peuvent parvenir au bonheur. Les titres les plus attendus sont U4 chez Nathan, série écrite à huit mains, L’éveil de Jean-Baptiste de Panafieu (Gulf Stream éditeur), ou encore Cell 7 par Kerry Drewery (Hachette). Les sujets en rapport avec l’adolescence[5] soulignent les dangers des réseaux sociaux dans Need de Joëlle Charbonneau (Milan) ou l’anorexie avec Sweet d’Emmy Laybourne (Hachette). Les séries en science-fiction et en fantastique ne sont pas délaissées, comme en témoignent Génération K de Marine Carteron (Rouergue) et Illuminae d’Amie Kaufman (Casterman). L’écologie fait son entrée aux éditions Le Ricochet, avec la création d’une collection « À l’abri », et des albums remarquables se distinguent d’une production axée sur la nécessité de rendre le terrorisme compréhensible à l’enfant : Un trou, c’est pour creuser, de Kruth Krauss, illustré par Maurice Sendak (MeMo) et Le bois dormait, par Rebecca Dautremer (Sarbacane).
Le retour des prix d’automne
La rentrée littéraire est également le rendez-vous incontournable des prix[6]. Les plus marquants sont bien évidemment le Goncourt, le Renaudot, le Médicis, celui de l’Académie française ou encore le récent Prix Patrimoines. S’ajoutent le Décembre, le Fémina, le Prix littéraire du Monde ou encore toute une série produite par des commerces non spécialistes du livre : le prix Landerneau du lecteur, récompensé par l’Espace Culturel E.Leclerc[7], les 6 « Talents à découvrir » par Cultura, présidé par Gilles Legardinier[8], ou encore le prix du roman Fnac qui a été décerné à Gaël Faye[9] lors du premier salon Forum Fnac Livres. Acte promotionnel désintéressé ou véritable distinction, le prix littéraire a aujourd’hui vocation à faire parler des livres sur un temps donné, récompensant par consensus une œuvre aimée du grand public qui se reconnaît dans les jurés.
Finalement, la rentrée littéraire est un phénomène apprécié des professionnels du livre qui permet de découvrir de nouveaux auteurs, d'en retrouver d'autres, et également un instant d'échanges entre professionnels et amateurs. Quoiqu'ayant des enjeux forts, la rentrée littéraire permet de mettre en avant le livre, produit qui, force est de constater, ne semble pas perdre ses lettres de noblesse, et de faire fonctionner son économie. Les meilleures ventes littéraires entre le 12[10] et le 25 septembre 2016[11] réunissent des titres de la rentrée : L’homme qui voyait à travers les visages par Éric-Emmanuel Schmitt (Albin Michel), Riquet à la houppe d’Amélie Nothomb (Albin Michel), ou encore Écoutez nos défaites de Laurent Gaudé (Actes Sud). En bande dessinée, Guy Delisle occupe la troisième place du palmarès et entame sa troisième semaine, derrière Les mondes de Thorgal : Louve, volume 6 et Elfes tome 15. Pourtant, comme chaque année, il faut noter l’absence de dossiers traitant des nouveautés jeunesses et en bande dessinée dans la grande majorité des revues littéraires grand public, qui préfèrent mettre l’accent sur la littérature française et étrangère pour toucher un maximum de lecteurs.