Pour devenir libraire, il existe deux alternatives : faire des études spécialisées ou l'expérience. La première tend à vous transmettre la pratique dans une théorie qui ne trouvera son utilité que lors d'un stage (on a beau nous enseigner ou apprendre par coeur les fournisseurs et la liste des éditeurs chez untel, il reste qu'il est impossible de tout connaître par coeur, que des changements sont à prévoir, et enfin que vous ne travaillerez pas avec tous les éditeurs), quand la seconde privilégiera votre expérience terrain en tant que validation d'acquis, si je puis m'exprimer ainsi. Il reste que cette opportunité est formatrice même si les débuts risque d'être houleux en raison d'une méconnaissance de certains aspects étudiés lors des études. Pour autant, et pour l'avoir vu à deux reprises, cette alternative n'a rien de dégradant puisque seule l'expérience terrain vous permettra de vous rendre compte des subtilités et des nuances du métier de libraire qu'aucune théorie ne pourra pleinement vous exposer.
Les études
C'est un détail qui étonne ma clientèle : oui, nous avons notre propre parcours, notre propre cursus. Les études nous apprennent comment fonctionne le commerce du livresque (depuis l'auteur jusqu'au point de vente ou de prêt). Il existe pratiquement dans toutes les régions une université ouverte à la formation du métier de libraire. Personnellement, je l'ai effectué à Aix-en-Provence, au sein d'Aix-Marseille Université. Une formation Bac +3 est recommandée et vous pourrez pousser avec un Bac +5 dans l'optique d'obtenir un Master. À savoir que le contenu des cours seront sensiblements les mêmes, avec l'ajout de spécialités. En mon cas, ce fut l'étude du livre à la Renaissance et son évolution jusqu'à l'ère du numérique. Une double qualification, en quelque sorte (Maître en Histoire de la Renaissance et Maître en Histoire du livre). À vous de voir jusqu'où vous désirez aller. Rien n'oblige de poursuivre si vous n'êtes pas à l'aise avec les études ; un Bac+3 et une formation de management seront aussi bénéfiques pour gérer une équipe -si vous en êtes capable, car tout le monde ne dispose pas des vertus de leadership et de management.
Afin de valider votre licence ou votre BUT, pensez à bien choisir votre stage dans une structure adaptée à votre appétence ! S'agissant d'un métier de passion, de contact client et de commerce, vous risquez autant de vous ennuyer car le milieu ne sera pas stimulant intellectuellement que d'être déçu(e) par la structure. Pensez, en amont, au travail du libraire qui vous formera : en plus de son temps de travail, il vous transmettra son savoir, ses compétences, sa manière de travailler (qui vous siera ou non) et sa passion pour son métier. Si vous n'êtes pas réceptif, c'est une perte de temps et vous gênerez plus que vous n'aiderez.
Les études vous préparerons aux notions du terrain. À vous, grâce aux stages et aux CDD/CDI, de savoir si vous êtes fait pour ce métier.
L'expérience
En mon sens, une excellente expérience vaut un diplôme. Si vous effectuez toutes les tâches d'un libraire, d'un gestionnaire de rayon, vous parviendrez à combler vos lacunes en quelques semaines, voire mois/années pour certains aspects. Les retours, la manutention, la gestion des chiffres, des rayons, la connaissance de votre clientèle pour éviter les achats inutiles, les conseils, les animations, l'encaissement. Des personnes peuvent être de très bons libraires et ne pas posséder de diplôme, pour autant cela ne remet pas en questions leurs compétences, s'ils excellent dans ce qu'ils font.
La réactivité, l'obligeance, la courtoisie, la complaisance, le flegme et la réserve (n'entrez jamais dans l'anémité avec un client !) sont à mon sens les qualités à développer pour un libraire. J'imagine que chaque lectrice ou lecteur le sait déjà : la PASSION est le maître-mot de ce métier. On ne le fait pas pour autre chose que la passion du livre.
La réactivité ~ Capacité de réagir à une intervention, une stimulation extérieure.
Elle vous permettra de vous adapter à votre environnement et, par là j'entends la clientèle qui varie d'un client à un autre. Un homme pressé, une femme excentrique, un homme ou une femme un peu trop oppressant, une personne de mauvaise humeur qui jete son dévolu sur vous, identifier les anti-masques, les voleurs, un enfant qui prend votre boutique pour un terrain de JO. Choisissez et réagissez vite, pour être à l'aise et ne pas être submergé par vos humeurs et tout ce qui vous traverse l'esprit.
L'obligeance ~ Disposition à se montrer obligeant, à rendre service.
C'est un élément qui peut être chronophage. Je m'explique : l'obligeance est la disposition à rendre service, notamment, en ce qui me concerne, à renseigner la clientèle en lui proposant des alternatives qui le conduisent à acheter son ouvrage ailleurs quand il y a urgence. Vrai : cela fait sauter une vente, voire plusieurs. Faux : cela ne fidélise pas. Au contraire, mes clients sont d'autant plus surpris que soulagés de savoir que je suis là pour les aider. Résultat : ils reviennent pour moi, pour mes qualités de vendeuse qui ne voit pas juste en eux un porte-feuille ambulant.
La courtoisie ~ Politesse raffinée.
Bon, là, c'est facile car c'est une condition sine qua non à toute personne exerçant dans le commerce. Elle est synonyme de respect. Personne n'aime entrer dans un magasin lambda et se faire traîter comme la pire des espèces, où le sourire et la politesse sont des options qui, visiblement, n'ont pas été prises par les employés. Bien entendu, personne n'est un robot et la vie est faite de hauts et de bas. Tout le monde n'est pas parfait et, même si l'on pense très fort que les clients n'ont pas à pâtir de notre état, il reste que des erreurs peuvent être commises. Le tout est de s'en rendre compte et, si la situation est trop ingérable, prendre le temps d'en parler et, au besoin, prendre quelques jours avant de cracher son venin sur ses collègues/son équipe.
La complaisance ~ Disposition à s'accommoder aux goûts, aux sentiments d'autrui pour lui plaire.
Il s'agit-là d'une qualité inhérente aux libraires car elle est liée à votre conseil client. Plus vous vous investissez dans la satisfaction de votre clientèle, plus vous la ferez changer d'avis sur le commerce. Eh oui, car le conseil client est chose assez rare sur internet et Dieu seul sait qu'avec le Covid, les plateformes de vente en ligne ont explosées. Même si aujourd'hui des essais sont réalisés pour établir un contact en ligne, il reste que parler avec passion de votre rayon, de vos coups de coeur, faire rêver votre clientèle est une chose qui n'est possible qu'en face à face. Mes clients me disent souvent que je parle avec passion des livres que je leur propose (coup de coeur ou non) et, de surcroît, que j'ai une manière de m'exprimer qui leur donne envie de tout acheter. J'imagine que cela est plus difficile par écran, car la gestuelle, l'ambiance et le face à face in situ ne sont pas remplaçables -je pourrais avoir un léger sourire de fatuité...HAHA
Le flegme ~ Caractère calme, non émotif.
Une affaire de courtoisie et de réactivité, bien évidemment ! Vous serez forcément face à des clients qui n'auront pas la même idéologie que vous, qui n'auront pas les mêmes centres d'intérêts. Vous en aurez forcément pour vous parler d'une table Ouija, d'esprits, de communication avec l'au-delà, d'expériences paranormales, de pierres et de leurs bienfaits, des clients qui n'auront pas la même religion que vous, pas les mêmes positions politiques. Que vous y croyiez ou non, vous devez être à l'épreuve des balles. Par respect pour le client. Chacun ses croyances, chacun ses créatures fantastiques, "chacun chez soi et les hippopotames seront bien gardés !".
La réserve ~ Qualité qui consiste à se garder de tout excès (dans les propos, etc.).
Faire preuve de prudence et de discrétion. Il y aura des questions délicates, il nous arrive parfois d'être des psychologues sans en avoir les compétences ni le diplôme, mais la clientèle doit pouvoir trouver une oreille attentive. Il y aura des questions plus délicates, qui nécessiteront que vous ayez aussi la volonté de plonger dans le sujet : sexualité, maladie, burn-out, dépression. J'ai eu, au courant de ma carrière, des questions portant sur le sexe, le cancer, la dépression de jeunes adultes ayant du mal à vivre le Covid, le diabète, la nécessité de faire du sport pour raison médicale, l'isolement de personnes désireuses d'en sortir, Alzheimer, et enfin sur la sociabilité. Il arrivait que le client témoigne le désir que nous soyons seul(e)s, dans une zone désertée, en parler à voix basse. Grâce à ces clients, j'ai pu me rendre compte que le questionnement des gens est à l'image des propositions de recherches sur Google (no offence) : on peut avoir de tout. Le tout est d'avoir suffisamment d'ouverture d'esprit et de réserve pour respecter le client et ses revendications. Imaginez le pas en avant pour eux. Nous demander conseils sur des sujets délicats ; ils ont eu le courage de venir nous demander conseil. À tous les clients qui ont osé, je vous dis félicitation.
Mise à jour poste en librairie indépendante
Ces qualifications n'ont pas changé, elles restent essentielles et n'auront de cesse de vous suivre. L'endroit où vous vous trouvez connaîtra d'autres problématiques, liées majoritairement à la clientèle, mais il faut savoir que le métier est le même partout -avec des différences inhérentes à l'entreprise, c'est certain.